Le basculement 65 ans après l’indépendance du Congo
C’est dans la cuisine de sa grand-mère, à La Louvière, que Dany a entendu parler pour la première fois du 30 juin 1960.
Mais elle ne disait pas «l’indépendance» — elle disait «le basculement». Dany avait dix ans, les coudes sur la table en formica, le regard traînant dans la vapeur d’un moambe en préparation. Ce mot, il l’a entendu comme une énigme. Un mot de trop ou de pas assez. Et quand il a demandé: «C’est quoi, le basculement?», sa grand-mère s’est arrêtée, un peu ailleurs, un peu en elle-même.
«Le jour du basculement, j’étais une enfant comme toi. On entendait les adultes dire que «le Congo était libre». Les voisins s’étaient rassemblés autour d’une radio, le ton était grave, solennel. On ne comprenait pas tout. Mais on sentait que quelque chose se cassait. Quelque chose de grand, de lourd.».
Ce souvenir, Dany l’a porté en lui longtemps. Aujourd’hui encore, 65 ans après l’indépendance du Congo, il y pense. Il se demande: qu’est-ce qui a vraiment basculé ce jour-là? Un pays? Une mémoire? Des silences trop bien rangés dans les tiroirs des familles, belges comme congolaises?
Une mémoire habitée, des récits encore vivants – Les voix congolaises
Pour beaucoup de Congolais, ce jour de 1960 reste une date de fierté, d’émotion, mais aussi de confusion.
Rose Salumu, par exemple, se souvient de ce que son père avait dit à son retour: «Les blancs sont chassés du Congo.» À six ans, elle ressentait plus de vertige que de joie. Ce moment est raconté dans une interview sur Radio Okapi.
Thérèse Kalemba Kimanga et Muyomba Bahelo, eux aussi, ont raconté leur vécu du 30 juin 1960. Des rues en liesse, mais aussi un grand vide sur l’après.
À travers l’exposition «Indépendance !» de l’AfricaMuseum, des Congolais retracent les espoirs et les ruptures, les chansons patriotiques et les souvenirs familiaux, les débuts d’un récit national qu’il reste à écrire collectivement.
Et côté belge? La fin d’un empire et le silence dans les familles
Chez les Belges, les récits sont parfois plus feutrés, filtrés par la nostalgie, le malaise ou l’oubli.
Dans la revue Mémoires du Congo, d’anciens colons racontent leur quotidien dans les derniers mois avant l’indépendance. Certains expriment un sentiment d’abandon, d’incompréhension, voire de trahison. D’autres évoquent simplement le départ, le retour en Belgique, le silence.
Un autre témoignage, publié sur le site Ages et transmissions, nous plonge dans les souvenirs d’un enfant belge des années 1960. Il se rappelle les conversations feutrées des adultes, les coupures de journaux, et le sentiment confus qu’un monde se terminait — sans qu’on sache vraiment lequel.
Et aujourd’hui? La mémoire, les luttes et les réparations
65 ans plus tard, les plaies du passé ne sont pas refermées.
Aujourd’hui encore, des voix s’élèvent pour la reconnaissance des préjudices causés par la colonisation, pour une réécriture inclusive de l’Histoire, pour la restitution des œuvres culturelles, et pour que cessent les stéréotypes raciaux qui trouvent leur origine dans l’époque coloniale.
Des collectifs, des historien·nes, des militant·es antiracistes, des artistes engagés dénoncent le fait que le racisme systémique en Belgique s’enracine en partie dans cette histoire non digérée.
Les débats autour des statues de Léopold II, la commission parlementaire sur le passé colonial, ou encore la lenteur des excuses officielles… montrent que le «basculement» n’est pas fini. Il se poursuit dans nos sociétés, dans les inégalités, dans les écoles, dans les rues, dans les regards.
Raconter, pour relier
Peut-être que raconter ce souvenir de Dany, dans la cuisine de sa grand-mère, c’est aussi une manière de réparer. De tisser du lien entre passé et présent, entre les histoires qu’on a reçues et celles qu’on choisit de transmettre.
Entre deux peuples, deux mémoires, deux héritages souvent parallèles.
Il est temps de faire dialoguer ces récits, pour entrer dans une conversation historique, humaine, engagée.
Un week-end pour partager et fêter
Du vendredi 27 au dimanche 29 juin 2025, le Centre Régional d’Intégration Centre & Wapi, en collaboration avec les associations locales, vous invite à un week-end festif et commémoratif.
Un programme mêlant mémoire, musique, cuisine, débats et solidarité. Plus d’info prochainement.
Pour aller plus loin
- Radio Okapi – Témoignage de Rose Salumu
- Makanisi – Ils se souviennent du jour de l’indépendance
- AfricaMuseum – Exposition «Indépendance !»
- Mémoires du Congo – Revue n°54
- Ages & transmissions – Témoignage belge
- «Mémoires noires» - Un recueil de témoignages de Congolais sur la période coloniale, mettant en lumière des récits souvent absents des narrations officielles.
- «Congo. Une histoire» de David Van Reybrouck Cet ouvrage offre une perspective historique approfondie, enrichie par des entretiens avec des Congolais ayant vécu différentes époques, de la colonisation à l’indépendance. Wikipédia
- «Une saison au Congo» d’Aimé Césaire — Une pièce poignante sur la trajectoire de Patrice Lumumba.
- «Lumumba» (2000) de Raoul Peck — Biopic puissant sur l’homme et le combat.- Lumumba (Dir. Raoul Peck, 2000, 110 min.)
- «L’empire du silence» de Thierry Michel — Pour comprendre les suites de l’histoire coloniale. - Les crimes impunis du Congo - Regarder le documentaire complet | ARTE